JYB a écrit :
Le titre Le Grand Mirage ne fait pas du tout référence aux Mirage, avions construits par Dassault, mais au mirage dans le sens de rêve, illusion.
Ça raconte l'histoire d'un jeune élève pilote en aéroclub, qui apprend incidemment qu'il ne deviendra jamais professionnel comme Tanguy et Laverdure, qui fréquentent sa jolie soeur ; frustré, le jeune pilote est pris d'une sorte de coup de folie, décolle, seul, à bord de l'avion sur lequel il apprend à piloter et espère faire un coup d'éclat pour montrer ce dont il est capable, mais ça tourne mal (l'avion prend feu accidentellement).
Rare histoire de Charlier qui soit sur un ton triste et qui finit sans dénouement heureux pour un tel personnage.
Rare, en effet, mais pas unique... En cherchant bien, on pourrait essayer d'établir une liste pour identifier les récits de JMC comportant des personnages pathétiques subissant un sort funeste. (le jeune pilote s'en sort, mais ce qui est triste pour lui c'est de savoir qu'il ne pourra jamais être l'égal d'un Tanguy)
Pour ma part, sans me livrer à un tel travail de bénédictin (ou d'entomologiste), il me vient à l'esprit spontanément quelques personnages attachants et au destin particulièrement tragique dans les séries de Charlier :
Il me semble (mais cela mérite vérification, car il ne s'agit que d'une impression) que ces personnages sont plus nombreux dans la série Tanguy que dans celle de Buck Danny :
- Dès la première aventure datant de 1959 (bouclée sur deux albums mais conçue comme un seul récit), Saint-Hélier tient ce rôle ; on pressent que l'aspirant hautain cache en réalité un individu doté de hautes vertus (mais il faut attendre l'épisode tragique de la fin de "Pour l'honneur des Cocardes" pour s'en persuader ; et même le moniteur Darnier, qui paraît impitoyable, bouleverse le lecteur en admettant tardivement s'être trompé sur l'élève pilote de chasse qu'était Saint-Hellier ;
A la même époque, JMC sacrifiait un personnage réunissant sur sa tête les qualités et les défauts de plusieurs de ses protagonistes : Tucson, Laverdure, Darnier, etc... Le lieutenant ou captain Lang, de l'US Air Force, dans "L'Escadrille des Jaguars" (série Dan Cooper). L'extinction du réacteur de ce pilote grande gueule mais généreux se produit au dessus du cratère d'un volcan en éruption que Lang devait souffler en larguant des explosifs. La fin tragique de Lang n'est pas sans rappeler celle de St-Hellier qui percute un camion citerne au moment où il se croit sauvé après avoir évité de se crasher sur une ville. Le souvenir de ces pilotes pathétiques hante le lecteur longtemps après qu'il a refermé l'album sur la case finale.
Mais c'est en effet à la fin des années 60 que cette tendance à introduire des éléments tragiques dans ses histoires se développe :
- Dans les "Anges Noirs", le jeune lieutenant Ruiz, formé par Tanguy et Laverdure, se fait d'abord descendre par des F-104 de la force aérienne d'un Etat voisin. Nous assistons au calvaire de ce jeune pilote grièvement blessé qui tente héroiquement d'échapper en pleine jungle aux mercenaires de la dictature voisine. Laverdure, bravant tous les risques avec un Morane Saulnier Broussard, réussira à récupérer l'élève pilote en vue de son évacuation sanitaire. Mais au dernier moment, alors qu'il croit avoir sauvé le pilote managuayen, celui-ci, hissé sur les épaules de Laverdure, se fait descendre au moment ou Ernest franchit la rivière qui tient lieu de frontière entre les deux Etats belligérants ; tout les efforts déployés par Laverdure auront été vains.
- Dans "Missions Spéciale", JMC réserve un sort funeste à la jeune espionne qui agit sous la pression d'un chantage, puis éprouve du remords, alors qu'elle est tombée amoureuse de Tanguy ; on devine que ni Laverdure ni Tanguy n'étaient insensibles à la jeune femme, odieusement manipulée par le chef des espions. Malgré sa trahison, cette séductrice est beaucoup plus humaine et poignante que les femmes fatales de "Canon Bleu" et "Mission Dernière Chance", ou encore "Survol Interdit" ;
- Peu de temps après, dans "Menace sur Mururoa" on assiste à l'assassinat et à l'agonie du copain de T & L (je crois qu'il s'appelle Cassin), lequel vivote de vols charters effectués avec son propre hydravion Catalina.
Charlier a parfaitement su nous rendre sympathique cet ancien pilote de l'Armée de l'Air, dont les déboires sont multiples : fiancée frivole, maigre rendement de la compagnie, le bouquet final consistant dans les meurtres successifs de la fiancée puis de l'infortuné Cassin par les sbires de la secte qui veut porter un coup mortel aux intérêts de la France à l'occasion des campagnes de tirs nucléaires dans le Pacifique ;
- Dans "Lieutenant Double Bang" et "Baroud sur le Désert", la jeune infirmière Marjorie Hart sera à mon sens le dernier personnage important de la série destiné à bouleverser le lecteur sensible.
Dans la chronologie de la série, l'histoire du jeune pilote qui s'empare d'un Jodel Mousquetaire en cours de maintenance (qui prendra feu peu après le décollage), se déroule également à la fin des années 60 ou au début des années 70. ("Le grand mirage")
Peut-être que certains d'entre vous sauront nous rappeler d'autres dénouements tragiques dans les séries aéronautiques de JMC. Pour ma part, je pense que cette habileté romanesque de Jean-Michel Charlier n'est pas étrangère au succès de la série, certains personnages secondaires prenant une dimension considérable dans tel ou tel épisode.