Alcyon a écrit : ↑samedi 02 février 2019, 11:20
Je me permettrai un petit complément d'histoire aéronautique en lien avec le sujet, même si l'intrigue de cette aventure de Tanguy et Laverdure est antérieure de quelques années.
Des Mirages III ont bien volés sur Mururoa dans le but d'y essayer une arme nucléaire tactique. Ceci s'est passé en 1973 et il s'agissait alors de Mirage IIIE et de l'arme nucléaire AN52.
Arrivés démontés le 13 juillet, et après des vols d'entrainement en août, le 23 de ce même mois le Mirage IIIE n°617 a largué son arme dans les eaux territoriales. Il s'agissait de l'opération Tamara (et aujourd'hui l'avion est conservé dans les réserves du Musée de l'Air et de l'Espace).
Il est également à noter que d'autres essais ont été réalisés durant cette période: 4 tirs avec ballons et qu'un autre avec tour le sera quelques semaines après.
Je connais tout ça. Mais, précisions importantes : en 1967, année de la prépublication de la BD dans les pages de
Pilote, il était prévu que des Mirage IIIE seraient adaptés "un jour" à la mission nucléaire. C'est certainement ce qui a donné à Charlier l'idée de son scénario, les héros ayant justement piloté des Mirage IIIE dans une aventure précédente. Malheureusement, il s'est un peu mélangé les pinceaux ; il est allé trop vite car à cette époque, aucun Mirage IIIE ne pouvait le faire... Et aucun ne pourra le faire avant février 1971, date où un Mirage IIIE "équipé pour" a pu réaliser son premier vol à Cazaux dans les Landes, aux mains d'un pilote d'essai (Georges Varin). Et ce n'est qu'en octobre 1972 que le Mirage IIIE a été désigné officiellement pour la mission de la frappe nucléaire tactique. Avant ça, rien n'était encore sûr. Si les essais n'avaient pas été satisfaisants, sans doute le Mirage IIIE n'aurait pas été choisi... Ensuite, comme l'a raconté Alcyon, un Mirage IIIE a pu mener à Mururoa son vol avec tir réel, en 1973. Six ans après le début du scénario. Charlier avait fait preuve de prospective.
Encore heureux, donc, que, dans la réalité, le Mirage IIIE ait bien été accepté pour la mission nucléaire, car on a vu plus d'une fois des programmes aéronautiques et militaires s'interrompre ou se modifier... Ainsi, Charlier s'est trompé en mettant en scène l'avion Phantom, concurrent du Vigilante, dans la double aventure de Buck Danny, Prototype FX-13 et Escadrille ZZ ; à la fin de la BD et à l'issue de la campagne d'essais, le Phantom est écarté au profit du Vigilante que l'US Navy achète. Pas de chance, le Phantom a eu (dans la réalité) une carrière longue et exceptionnelle au sein de l'US Navy, de l'US Air Force et des Marines, ainsi qu'à travers le monde...
Mais là où le bât blesse encore (je l'ai déjà dit plus haut), dans la double aventure polynésienne, c'est que T&L étant à Dijon à la 2e Escadre, ne pouvaient pas non plus piloter de Mirage IIIE bombardiers, des avions qui étaient intégrés à la 4e Escadre sur la base de Luxeuil (or, dans la BD, il est dit à un moment, vers le début, comme je l'ai rappelé plus haut, que T & L s'entraînent à Dijon... ça ne colle pas !). C'est pourquoi j'ai attiré l'attention un post plus haut sur le fait que curieusement, dans la BD, les Mirage IIIE n'ont aucune marque, aucune immatriculation. Sont-ils de la 2e Escadre ? Impossible, ils seraient chasseurs, et sûrement pas bombardiers nucléaires... Sont-ils de la 4e Escadre ? Impossible, il n'y avait aucun bombardier atomique Mirage IIIE à la 4e Escadre à l'époque... C'est pourquoi je suppose que Daniel Chauvin, spécialiste de l'aviation qui dessinait les avions dans Tanguy aux côtés de Jijé à l'époque, a vu le problème et a préféré ne rien mettre sur le fuselage et la dérive, pour "noyer le poisson". Et alors que dans la série Tanguy, les Mirage III français de Tanguy et Laverdure ont toujours eu une immatriculation... Et pas que les Mirage III : dans le diptyque polynésien, les autres avions que l'on aperçoit ici et là sont immatriculés ou portent un code, eux...
Ce qui est inenvisageable aussi, c'est que le pilote (ou les pilotes, comme T & L) dévolu à une mission de largage de bombe atomique à Mururoa, soit aussi préleveur de poussières atmosphériques quand l'occasion se présente, avec le même appareil, et à la fois chasseur pur (avec, comme on le voit dans la BD à plusieurs reprises, des missions d'interception), toujours avec le même appareil qui sert donc à tout...
De deux choses l'une : soit la série suit l'actualité et respecte l'organisation de l'Armée de l'air et ses missions, et T & L n'auraient jamais pu faire tout ce qu'ils font en Polynésie dans le diptyque Destination Pacifique et sa suite, soit c'est une fiction totale qui confine à la science-fiction, et Charlier peut leur faire faire tout ce qu'il veut (mais Charlier dans ses interviewes a toujours soutenu qu'il se documentait à fond, visitait les bases aériennes, interviewait des pilotes, donnait à ses dessinateurs des photos adéquates, etc.).
Autre incongruité : il y a en même temps à Hao, dans la BD, des Mirages IV et des Mirage III pour balancer des bombes nucléaires. Dans la réalité, il n'y a eu à chaque fois qu'un avion, et qu'un type d'avion, qui a balancé
une bombe : soit un Mirage IV en 1966 par exemple, soit un Mirage IIIE en 1973, soit un Jaguar (et lui seul) en 1974 (je crois, de mémoire). Une concentration de plusieurs avions différents pour balancer des bombes nucléaires, c'est du jamais vu, surtout à l'autre bout de la planète (mais la BD étant une fiction totale, n'est-ce pas, etc.).
Autre scène totalement irréaliste : quand un avion Neptune pirate survole la base de Hao juste au moment où Tanguy et Laverdure s'y trouvent, ces derniers sont en train de discuter tranquillement au bar avec d'autres pilotes, et en un instant, Tanguy se retrouve aux commandes de son Mirage (un mirage IIIE bombardier atomique, oserais-je le rappeler) pour décoller et intercepter le Neptune. Quand on sait le temps qu'il faut pour préparer un avion et son pilote avant un départ en mission... le Neptune a disparu depuis longtemps...
D'autant que... Suivez bien la scène depuis le début : T & L sont en villégiature chez leur copain Cassin à Tahiti. Tout à coup, on les convoque d'urgence ; quatre heures plus tard, ils débarquent à Hao et découvrent leurs Mirage III sur le parking, remontés (puisque les avions - c'est annoncé dans la BD, un peu avant - sont arrivés démontés, et il a fallu le temps de les remonter). Or, T & L n'ont fait aucun vol d'essai après remontage, aucun vol de reprise en main. Les Mirage n'ont aucune raison d'être prêts et en alerte. Ce qui n'empêche Tanguy, en tenue de sortie au bar, de sauter immédiatement dans le cockpit, en combinaison de vol, et de décoller dans la foulée... Euh...
Mais évidemment, ce n'est qu'une BD, T & L sont les héros et savent tout faire et tout piloter à la place des autres et deviennent absolument indispensables à toute mission...
Indépendamment du cycle polynésien, autre problème (connu) avec les Mirage IIIE de Charlier dans Tanguy : dans l'album Cap Zéro, ils sont ravitaillables en vol. Or, aucun Mirage III, C ou E, n'a eu cette capacité, et aucun n'a eu de perche de ravitaillement rétractable. Donc, dans la BD, comment peuvent-ils se rendre au Groënland...? C'est un mystère auquel je n'ai toujours pas trouvé de réponse, 55 ans plus tard... D'autre part, erreur du dessinateur Uderzo (que Charlier le scénariste n'a pas fait rectifier) : la perche rétractable est sur le côté gauche du cockpit. Dans la réalité, sur les avions de Dassault, hors le Mirage IV et certains Mirage IIIB qui ont eu une perche fixe au bout du nez, les perches ont toujours été côté droit... (F1, 2000, Rafale...).
Mais évidemment, ce n'est qu'une BD de fiction où tout est possible... et où les pinailleurs n'ont pas à venir chercher la petite bête...