Publié : mercredi 13 octobre 2004, 16:11
Je me fais le messager de JYB qui souhaite intervenir à propos des dessins de Hubinon
"Au sujet des épisodes racontant le retour des Tigres Volants et au sujet du dessin de Victor Hubinon qui paraît moins bon à certains, il faut savoir plusieurs choses. A l'époque où les épisodes en question sont parus dans le Spirou, soit du 7 juillet 1960 au 1er mars 1962, avant leur publication en albums, Victor Hubinon était surbooké comme on dit aujourd'hui. Depuis l'automne 1959, il dessinait en parallèle une autre série qui n'a rien à voir avec l'aviation : Barbe-Rouge, qui paraissait dans le magazine concurrent Pilote. Le rythme des parutions dans ces deux revues était infernal pour un dessinateur normalement constitué. Si on fait le compte, on découvre que Hubinon "descendait", comme on dit dans le métier, une moyenne de 3 à 4 planches par semaine, et ce presque sans interruption durant des années. C'est autre chose que le rythme de la plupart des auteurs contemporains ; mais il est vrai qu'aujourd'hui, les dessinateurs soignent mieux leurs dessins et font de plus profondes recherches documentaires
- les lecteurs ne leur pardonneraient pas des approximations.
A cela il faut ajouter que Hubinon faisait quelques extras (illustrations et BD diverses), sans compter les couvertures de ses albums, ce qui prend un peu de temps quand même car c'est le genre de travail qu'il faut soigner. Je peux vous garantir que Hubinon, et beaucoup de dessinateurs de sa trempe à l'époque héroïque, ont passé quantités de nuits blanches à finir leurs dessins pour être dans les temps (pareil pour leur scénariste JM Charlier, ce que Philou pourra confirmer). D'où des traits malhabiles parfois, dus à la rapidité d'exécution et surtout à la fatigue...
Mais, pour pouvoir assurer ce rythme infernal, Hubinon s'était adjoint les services de son ami et complice Eddy Paape, une "vedette" lui aussi si on tient compte de sa propre production en BD. Eddy Paape, qui n'était pas encore le dessinateur de la série Luc Orient avec Greg au scénario, repassait en effet à l'encre les dessins de Hubinon, sur une grande partie des planches de Buck Danny comme de Barbe-Rouge (il a même dessiné complètement certaines planches, par exemple les dernières de l'épisode
"Les Voleurs de satellite", dont il avait encré la plupart des planches précédentes).
C'était donc du travail à la chaîne, pour gagner du temps. Mais comme le reconnaissait Hubinon, préparer des crayonnés suffisamment précis pour qu'un autre dessinateur sache quels traits encrer, ça prend du temps aussi...! (Quand on regarde certains crayonnés préparés par de grands dessinateurs, ons'y perd tant il y a de traits partout et dans tous les sens ; seul l'auteur des crayonnés s'y reconnaît en général ; deux dessinateurs différents n'ont pas la même "main" pour copier le même trait). Mais trois choses sont à préciser : Paape était lui aussi débordé.
Beaucoup plus productif que Hubinon, il dessinait chaque semaine dans Spirou 4 planches des fameuses histoires de l'Oncle Paul + 2 planches de sa série Marc Dacier (scénario JM Charlier) ; dans Pilote, le concurrent, il dessinait des pages de jeux et diverses illustrations. Il travaillait aussi ailleurs, comme dans le magazine Record où, à l'époque, il réalisa un court épisode d'une aventure maritime (scénario de JM Charlier encore !). Sa production était telle qu'il avait pris des pseudonymes (car il ne fallait pas se fâcher avec son employeur principal, Dupuis, éditeur de Spirou) et dans Pilote par exemple, il prit un temps celui de Milpat, un surnom évocateur de sa production tous azimuts. Il faut savoir aussi qu'en
Belgique (Hubinon et Paape sont Belges), les impôts taxent les auteurs de BD à 70% (si pas d'erreur de ma part, et si pas de changement depuis qu'on me l'a dit dans les années 80/90), d'où leur obligation de produire beaucoup pour pouvoir s'en sortir financièrement.
Deuxième chose à savoir : le trait naturel de Paape était plus en "coup de serpe" que celui de Hubinon. Ce qui fait que - ce n'est pas net, mais ceux qui ont un bon coup d'oeil peuvent le remarquer - les encrages de ces épisodes de Buck Danny et Barbe-Rouge sont plus succincts, moins fignolés, plus grossiers que ce que faisait habituellement Hubinon seul. Ce dernier avait un encrage puissant, posé, propre, continu (j'ai vu des originaux de
Hubinon, c'est extraordinaire !).
Enfin, Paape n'était pas un spécialiste de l'aviation et pour encrer le contour d'avions comme le Skyhawk dans le Retour des Tigres volants, il le faisait en fonction du crayonné qu'avait préparé Hubinon. Et surtout, les dessinateurs n'avaient pas autant de documentation que de nos jours.
Si vous mélangez tous ces ingrédients, vous avez l'explication du très léger changement du dessin dans ces épisodes, et vous avez surtout un aperçu de ce qu'était la production de la BD francophone à l'époque."
"Au sujet des épisodes racontant le retour des Tigres Volants et au sujet du dessin de Victor Hubinon qui paraît moins bon à certains, il faut savoir plusieurs choses. A l'époque où les épisodes en question sont parus dans le Spirou, soit du 7 juillet 1960 au 1er mars 1962, avant leur publication en albums, Victor Hubinon était surbooké comme on dit aujourd'hui. Depuis l'automne 1959, il dessinait en parallèle une autre série qui n'a rien à voir avec l'aviation : Barbe-Rouge, qui paraissait dans le magazine concurrent Pilote. Le rythme des parutions dans ces deux revues était infernal pour un dessinateur normalement constitué. Si on fait le compte, on découvre que Hubinon "descendait", comme on dit dans le métier, une moyenne de 3 à 4 planches par semaine, et ce presque sans interruption durant des années. C'est autre chose que le rythme de la plupart des auteurs contemporains ; mais il est vrai qu'aujourd'hui, les dessinateurs soignent mieux leurs dessins et font de plus profondes recherches documentaires
- les lecteurs ne leur pardonneraient pas des approximations.
A cela il faut ajouter que Hubinon faisait quelques extras (illustrations et BD diverses), sans compter les couvertures de ses albums, ce qui prend un peu de temps quand même car c'est le genre de travail qu'il faut soigner. Je peux vous garantir que Hubinon, et beaucoup de dessinateurs de sa trempe à l'époque héroïque, ont passé quantités de nuits blanches à finir leurs dessins pour être dans les temps (pareil pour leur scénariste JM Charlier, ce que Philou pourra confirmer). D'où des traits malhabiles parfois, dus à la rapidité d'exécution et surtout à la fatigue...
Mais, pour pouvoir assurer ce rythme infernal, Hubinon s'était adjoint les services de son ami et complice Eddy Paape, une "vedette" lui aussi si on tient compte de sa propre production en BD. Eddy Paape, qui n'était pas encore le dessinateur de la série Luc Orient avec Greg au scénario, repassait en effet à l'encre les dessins de Hubinon, sur une grande partie des planches de Buck Danny comme de Barbe-Rouge (il a même dessiné complètement certaines planches, par exemple les dernières de l'épisode
"Les Voleurs de satellite", dont il avait encré la plupart des planches précédentes).
C'était donc du travail à la chaîne, pour gagner du temps. Mais comme le reconnaissait Hubinon, préparer des crayonnés suffisamment précis pour qu'un autre dessinateur sache quels traits encrer, ça prend du temps aussi...! (Quand on regarde certains crayonnés préparés par de grands dessinateurs, ons'y perd tant il y a de traits partout et dans tous les sens ; seul l'auteur des crayonnés s'y reconnaît en général ; deux dessinateurs différents n'ont pas la même "main" pour copier le même trait). Mais trois choses sont à préciser : Paape était lui aussi débordé.
Beaucoup plus productif que Hubinon, il dessinait chaque semaine dans Spirou 4 planches des fameuses histoires de l'Oncle Paul + 2 planches de sa série Marc Dacier (scénario JM Charlier) ; dans Pilote, le concurrent, il dessinait des pages de jeux et diverses illustrations. Il travaillait aussi ailleurs, comme dans le magazine Record où, à l'époque, il réalisa un court épisode d'une aventure maritime (scénario de JM Charlier encore !). Sa production était telle qu'il avait pris des pseudonymes (car il ne fallait pas se fâcher avec son employeur principal, Dupuis, éditeur de Spirou) et dans Pilote par exemple, il prit un temps celui de Milpat, un surnom évocateur de sa production tous azimuts. Il faut savoir aussi qu'en
Belgique (Hubinon et Paape sont Belges), les impôts taxent les auteurs de BD à 70% (si pas d'erreur de ma part, et si pas de changement depuis qu'on me l'a dit dans les années 80/90), d'où leur obligation de produire beaucoup pour pouvoir s'en sortir financièrement.
Deuxième chose à savoir : le trait naturel de Paape était plus en "coup de serpe" que celui de Hubinon. Ce qui fait que - ce n'est pas net, mais ceux qui ont un bon coup d'oeil peuvent le remarquer - les encrages de ces épisodes de Buck Danny et Barbe-Rouge sont plus succincts, moins fignolés, plus grossiers que ce que faisait habituellement Hubinon seul. Ce dernier avait un encrage puissant, posé, propre, continu (j'ai vu des originaux de
Hubinon, c'est extraordinaire !).
Enfin, Paape n'était pas un spécialiste de l'aviation et pour encrer le contour d'avions comme le Skyhawk dans le Retour des Tigres volants, il le faisait en fonction du crayonné qu'avait préparé Hubinon. Et surtout, les dessinateurs n'avaient pas autant de documentation que de nos jours.
Si vous mélangez tous ces ingrédients, vous avez l'explication du très léger changement du dessin dans ces épisodes, et vous avez surtout un aperçu de ce qu'était la production de la BD francophone à l'époque."